Aaaaah, l'humour japonais. On ne peut pas nier qu'il tient, dans la grande universalité du propre de l'Homme, tout de même une place vraiment à part. La preuve : Essayez donc d'expliquer à vos proches la chute du dernier quatre-cases que vous avez lu - il y a de fortes chances que vous passiez juste pour un con.
Il faut dire que beaucoup de créations humoristiques jouent énormément sur des principes qui n'entrent pas vraiment dans les conceptions classiques de l'humour. La montée en popularité de ce "genre" date du début des années 90 et s'est faite grâce à l'apparition d’œuvres considérées comme incontournables aujourd'hui - notamment Utsurun desu. de Sensha Yoshida, un manga dans le format yonkoma publié dans le magazine seinen Big Comic Spirits de 1989 à 1994.
Utsurun desu. signifie plus-ou-moins "C'est contagieux." mais c'est aussi un jeu de mot sans aucun sens avec "Ça peut prendre des photos", nom donné à la gamme d'appareils photos jetables de Fujifilm. Et oui, le point fait partie intégrante du titre.
Ce manga suit les péripéties de tout un tas de personnages ridicules dont le plus emblématique est probablement Kawauso-kun, un... homme-loutre aussi idiot qu'imprévisible. On y retrouve effectivement beaucoup des codes qui feront les beaux jours de l'humour absurde japonais : répétitions forcenées, dessin sommaire et grotesque, jeux de mots idiots, absence totale de chute, etc. Utsurun desu. est sans le moindre doute bien typique du genre !
Le manga n'a - sans grande surprise - jamais été publié en dehors du Japon, et même les scanlations sont assez rares. D'un autre côté, il est aussi parfois difficile voire impossible de traduire ce style dans une autre langue...
Voilà Kawauso-kun. J'ai malgré tout tenté une modeste traduction
d'un yonkoma, pour vous donner une idée de la chose.
Cela dit, dans son pays d'origine, il jouit d'un statut véritablement culte. Si bien, qu'il a eu droit à une adaptation en anime courant 2009, et même bien avant ça... en jeu vidéo !
Le jeu est simplement intitulé Utsurun desu. et sous-titré Kawauso Hawaii e Iku ("Kawauso va à Hawaï"). Il est sorti sur Famicom en 1992, assez tard dans la vie de la console donc, puisque la Super Famicom était même déjà disponible. On en sait au final assez peu sur le contexte de son développement, si ce n'est qu'il a été publié par la même boîte qui a édité... Convoy no Nazo, un kusoge notoire basé sur la licence Transformers. Le jeu suit les mésaventures que rencontre Kawauso-kun en cherchant à se rendre en vacances, lequel finit par se retrouver un peu partout dans le monde SAUF dans l'archipel polynésien.
Bref, commençons à jouer. J'ai eu un petit problème lorsque j'ai pour la première fois lancé lancé le jeu, notez : L'image était décalée. Comme c'est une imperfection encore fréquente dans le domaine de l'émulation, je décide de simplement changer d'émulateur, et... le problème était toujours là. Me posant la question de pourquoi un tel problème reviendrait sur plusieurs émulateurs différents, j'ai appuyé sur Start pour voir si le problème ne se réglait pas tout seul. Et... c'est là qu'on se rend compte en fait qu'il s'agit d'un faux écran-titre qui était destiné à faire croire aux joueurs qu'il y avait un problème avec leur télé ou leur cartouche. ... Wow, ok. À peine le jeu est-il lancé que je suis déjà pris pour un con - ça commence fort.
... N'empêche, on se fait toujours avoir, même en 2014.
Il s'agit d'un platformer en somme assez classique. Vous pouvez sauter plus-ou-moins comme dans un Mario en appuyant sur A et donner des claques à la portée minable en appuyant sur B. Vous pouvez aussi parfois ramasser d’occasionnels objets avec Bas pour les lancer sur vos ennemis, mais ils sont rarement essentiels. L'originalité dans le gameplay vient de votre système d'attaques : Si vous laissez votre doigt appuyé sur le bouton B, vos pouvoirs commencent à défiler et vous pourrez alors lancer une attaque plus-ou-moins puissante en fonction de la case sur laquelle vous tombez.
Les cases les plus puissantes n'apparaissant bien sûr qu'une fraction de secondes, il est facile de les rater. Il y en a cinq différentes en tout : La danse, qui vous rend vulnérable mais peut quand même infliger des dégâts aux ennemis ; le feu, qui envoie deux arcs de flammes bien pratiques balayer l'écran horizontalement ; le démon, qui illumine l'écran d'un flash surpuissant qui touche tout les ennemis qui s'y trouvent ; et la fleur, qui n'a d'autre usage que de vous punir si vous ratez le case du démon en vous immobilisant un instant, vous laissant ouvert aux attaques ennemies.
Sur ces ennemis qui ressemblent à des livres, il est marqué... "livre". Au cas où.
Ces pouvoirs ne sont pas une mauvaise idée. Ils sont globalement assez bien foutus et on peut finir par pas mal les les maîtriser après un petit temps du jeu... Peut-être même trop, à vrai dire. En effet, le pouvoir du démon est VRAIMENT abusé, et le concept même en soi a rendu le challenge incohérent. Mais bon... Heureusement, d'une certaine manière, car finir le jeu avec la seule claque aurait été absolument insupportable voire impossible, quoiqu'il arrive.
Cependant, dès le premier niveau, vous rencontrez un obstacle tenace : Un gouffre de pics bien trop long que pour être franchissable avec votre saut. Du coup, après un moment passé à chercher une solution, vous finirez par tenter un saut en longueur inespéré... et par vous rendre compte que la montagne en fond n'est pas un élément du décor mais bien un pont vous permettant de rejoindre l'autre côté.
... D'accord. On se fout de ma gueule, je vois.
... Il faut avouer que c'est quand même pas mal trouvé.
Et ce n'est pas la seule entourloupe du style à laquelle vous allez faire face : Le jeu vous réserve quelques surprises.
En fait, voilà bien le cœur d'Utsurun desu. : Ce jeu est une vaste blague, dans tous les sens du terme. Il y a plein de problèmes de game design idiots comme le délai dans la réception de dégâts ou la longueur de l'animation de retournement, le level design en soi a clairement été fait au pif, la difficulté est complètement inégale et le gameplay global est au final assez statique et pauvre - bref, tous les ingrédients pour un kusoge du cru.
Les extrémités sont des safe zone totales. Je prends juste plaisir aux risques inutiles...
Mais c'est justement aussi la qualité d'Utsurun desu. que de parvenir à en jouer. Un peu de la même manière qu'Takeshi no Chousen-jou, mais tout en restant jouable. Le jeu est un peu naze, c'est vrai, mais ça fait partie du délire - ça ne serait pas aussi drôle, sinon. Le sentiment qui en résulte est un mélange de confusion et de plaisir... un peu comme quand on rigole sur un yonkoma du genre, quoi.
Après tout, c'était encore le choix le plus indiqué pour adapter un manga comme celui-là en jeu vidéo - et si le but principal était de retranscrire l'humour de Yoshida sous une forme vidéoludique, on peut dire que c'est réussi !
Bon, faut quand même adhérer à l'humour très spécial quoi...
Même les magasins font partie intégrantes de ce délire. Ces échoppes où vous pouvez dépenser votre score vendent toutes des items basés sur des jeux de mots avec -mono ("chose"). Les noms sont imprécis et l'effet est souvent imprévisible : Un honmono ("le vrai truc") à 10,000 yen vous rend une barrette de vie, mais un uragirimono ("traître") qui coûte dix fois plus vous en retire une !
C'est marrant : Dans sa manière de ne présenter les niveaux que comme une simple suite d'énigmes à déjouer, que ce soit un code du jeu vidéo à briser ou une situation imprévisible à appréhender, Utsurun desu. est même aussi un peu un précurseur des "platformers infaisables" dans le genre de Jinsei Owata(^o^)/no Daibouken, Syobon no Action ou encore I Wanna Be the Guy: The Movie: The Game même sans en avoir justement l'aspect hardcore.
Je ne vous dirai même pas comment on bat ces cordes à sauter.
Et cette absurdité entièrement assumée, combinée avec l'univers de jeu, ça fait mouche ! Les Japonais fans de l'homme-loutre ont pu retrouver leurs personnages et situations préférés dans un contexte improbable et les autres ont l'occasion sur le coup de découvrir un des petits mondes de Yoshida pour la première fois.
On retrouve effectivement pas mal du cast du manga original : Bien sûr, Kawauso-kun lui-même... mais aussi son pote Kappa-kun, ou encore les enfants awkward à masque de kokeshi et les patients d'hôpital blessés colleurs d'affiche. Tout ça, bien sûr, dans un monde qui prend bien garde à ne jamais faire aucun sens !
En fait, sur le panneau du fond, il est marqué... "Bienvenue au Portugal !"
Bref, Utsurun desu. vaut le coup d’œil. Il est assez court, pas trop trop dur mais aussi franchement rigolo. La Famicom a décidément encore bien de quoi nous surprendre...