Game Boy Color   Shantae   Plateforme   2002  PAR Folkefiende 





Les réalisations vidéoludiques occidentales sur console portable ne sont pas spécialement les jeux jouissant du plus haut prestige qui soit. Quiconque ayant grandi avec la Game Boy ne peut oublier la masse infâme de jeux pourris produits à la chaîne par des boîtes américaines ou européennes sur la portable de Nintendo. Bien sûr, le Japon est historiquement avantagé sur ce terrain, mais l'état du jeu vidéo à l'occidentale était dans un état si piteux qu'il en était encore plus difficile de discerner les éventuelles surprises à travers le fatras de jeux à licence pourris et de clones honteux. Et lorsqu'il est question de citer des jeux historiques de la console, on se retrouve au final toujours à parler des classiques du géant japonais : Super Mario Land 2: Six Golden Coins, Super Mario Land 3: Wario Land, Kirby's Dream Land 2, Metroid II: Return of Samus, Wario Land 3, etc. Même ses concurrents dans le genre, comme Konami ou Capcom, ont du mal à se glisser dans le palmarès. Alors, encore un de ces jeux américains... Impossible qu'il puisse grimper là-haut, non ? Et pourtant...

Shantae est un action-platformer, édité par Capcom en 2002 sur Game Boy Color uniquement aux USA, et développée par un certain WayForward Technologies. Ce petit studio fondé en 1990 s'était fait (très) discret jusque là avec des projets de (très) petite envergure, comme des jeux éducatifs ou des productions à licence de ce genre. Il aura fallu attendre plus de 10 ans pour que le développeur puisse enfin lancer son premier vrai projet initié en interne: Shantae était née. D'ailleurs, parlant de ça... 2002, c'est franchement tard pour un jeu GBC, surtout que la GBA est sortie l'année d'avant. Et effectivement, le premier vrai jeu de WayForward a peiné à se faire connaître... mais au moins, le succès critique aura été au rendez-vous ! En effet, Shantae, même s'il est passé relativement inaperçu, mérite clairement sa place dans l'histoire du platformer portable.

Et même peut-être plus encore que dans la "seule" histoire du platformer, à vrai dire. En effet, je pense que ce jeu est tout simplement... le plus beau de la console. Hé ouais ! Certes, il a eu l'avantage d'être sorti à la toute fin, quand le hardware crachait tout ce qu'il pouvait, mais peu d'autres jeux GBC lui arrivent ne fut-ce qu'à la cheville. Mais avant d'élaborer davantage, un petit aperçu du monde dans lequel vous allez atterrir...

Le jeu se déroule à Sequin Land. Ces terres étaient autrefois protégées par de belles et puissantes Gardiennes Génies, mais leur présence a fini par s'évanouir au cours du temps. Le Mal menace donc de nouveau ces paisibles contrées... Cependant, beaucoup de ces génies sont tombées amoureuses d'humains au cours de leur périple dans le monde des mortels, et elles ont eu des enfants ; toutes des filles, des Demi-génies. C'est donc à ces jeunes filles, qui ont hérité des pouvoirs magiques de leur mère, que revient la tâche de protéger Sequin Land. Le jeu suit les aventures de la Demi-génie Shantae, et ça commence mal puisque l'infâme pirate Risky Boots attaque son village natal et dérobe la dernière invention de l'explorateur Mimic... et avec son larcin, elle menace de créer une machine de guerre pour asservir les Sept Mers ! Et seul Shantae peut l'arrêter.



Rien qu'à l'écran titre, c'est déjà superbe. Et la première séquence de jeu met directement la qualité graphique à l'honneur !


Je vous ai déjà dit que le jeu était beau, sans doute le plus joli de la console même. Mais ce n'est pas tout ! Parce que c'est non seulement beau, mais c'est aussi détaillé et particulièrement fluide ! J'ai vraiment mis du temps à accepter le fait qu'on était bien sur GBC, et je serais tout à fait tombé dans le panneau si on m'avait fait croire qu'il s'agissait d'un jeu des débuts de la GBA. L'héroïne Shantae a plein de mimiques et les personnages en général sont animés de manière incroyablement détaillée. Et cette fluidité visuelle est plus que simplement cosmétique, elle rend vraiment compte de la vivacité des déplacements et des sauts. L'animation de l'héroïne en train de courir prend à elle seule pas moins de 10 sprites ! Le plus impressionnant resteront ses poses de danse : En effet, Shantae apprendra progressivement de nouvelles chorégraphies qui lui permettront de se transformer et ainsi franchir ses obstacles grâces à ces nouvelles capacité. La transformation en singe lui permet d'être plus agile et de grimper aux murs, par exemple... mais je ne vous en dis pas plus, et je vous laisse les découvrir par vous-mêmes en y jouant !



L'action est d'une fluidité exceptionnelle, il faut vraiment le voir pour y croire !


Là où la maniabilité perd en vitesse, par contre, ce sont les coups. Shantae peut apprendre 4 combos en achetant des équipements, et 2 de ces nouveaux coups sont vraiment cools tant d'un point de vue de leur efficacité que du plaisir du jeu... mais son coup principal, celui que vous utiliserez le plus au cours de l'aventure, demandera un certain temps d'adaptation. Il s'agit d'une attaque plutôt originale, qui consiste à envoyer un coup de... queue de cheval : En effet, cette action demande un certain "élan", et elle ne se déclenche du coup pas directement. Il faut donc anticiper le pattern des ennemis et ça peut se révéler frustrant, surtout quand on commence le jeu et que les premiers ennemis qu'on rencontre nous mettent déjà des grosses patates. Surtout que beaucoup des ennemis en question deviennent vite assez coriaces : Ils sont plutôt grands et très résistants. C'est pas spécialement facile de s'en sortir quand on se retrouve coincé dans une situation délicate (mention spéciale au monster design par contre, dont la ligne directrice semble avoir été « does it have boobs? »). On finit bien sûr par s'y habituer, mais cette difficulté à placer le coup de base restera tout de même gênante jusqu'à la fin dans le sens où s'organiser spatialement pour savater un ennemi est déjà une épreuve en soit. Il est d'ailleurs temps de parler de ce qui est sans doute le plus important dans un platformer : Le level design.



Il y a des PUTAIN d'ennemis PARTOUT omg. Bon, au moins, on est satisfait quand on leur en a retourné une...


Il est divisé en trois catégories : L'overworld, les villages et les donjons. En effet, Shantae est un action-platformer, il ne s'agit donc pas d'une suite de tableaux mais bien d'un monde à explorer ; mais je reviendrai là-dessus par après, commençons plutôt par l'overworld... car c'est, à vrai dire, la mauvaise pilule à faire passer. En fait, le problème ne vient même pas du level design en lui-même, qui n'est pas mauvais, mais plutôt du fait qu'il n'est pas adapté à l'action-platformer : Les écrans sont trop linéaires et bourrés d'ennemis endurants difficiles à éviter, Shantae meurt assez facilement - heureusement qu'on a 4 continues et que le Game Over renvoie simplement au dernier point de sauvegarde - mais il leur manque surtout une courbe d'exploration "progressive" ; là où un jeu comme Super Metroid ou Castlevania: Symphony of the Night appelle expressément le joueur à revisiter les anciennes zones pour y découvrir de nouvelles choses grâce à l'évolution des capacités de leur personnage, repasser par des endroits qu'on connaît déjà dans Shantae est plus une conséquence de la nécessité d'aller et venir dans l'overworld qu'une mécanique proprement intégrée au gameplay. Il y a un cycle jour/nuit, mais s'il est agréable d'un point de vue esthétique, il n'est pas vraiment utile dans le gameplay, voie carrément déstabilisant car les ennemis sont encoe plus puissants la nuit. Retraverser les zones déjà connues est donc plutôt ennuyeux, et c'est le gros défaut du jeu.



Y passer une fois, c'est cool ; y faire des allers-retours, ça devient vite chiant.


Mais pourquoi traverserions-nous l'overworld comme ça ? Hé bien, pour rejoindre les différents villages du jeu. En fait, ce sera votre principale raison de progresser, dans le sens où ce sont dans ces villages que vous pourrez enclencher l'ouverture des donjons. Vous y trouverez aussi un point de sauvegarde, des bains où regagner vos cœurs, un magasin où acheter des objets de soin et des projectiles, ainsi que le siège de quêtes annexes (de très classiques "trouve les 4/12 objets de cet aspect") ou des mini-jeux (pour gagner des sous, et il vous en faudra pour acheter les équipements). Mais ce qui frappe le plus, c'est la façon dont on s'y déplace ; en effet, l'interface change complètement, et on se retrouve dans une vue panoramique depuis derrière le dos de Shantae, qui tourne sur elle-même pour changer de direction dans la vue d'ensemble. Il y a même des habitants qui se déplacent dans le village ! C'est assez impressionnant pour de la GBC, et on y rencontre une myriade de NPC différents.



Le salon de danse de la première ville du jeu, Scuttle Town... et la Zombie Caravan. Deux mondes bien différents...


Mais revenons au gameplay d'action, et peut-être son aspect le plus important : Les donjons. En effet, si l'interface reste la même que dans l'overworld, le level design change complètement et adopte une structure beaucoup moins linéaire plus typée "Castleroid". Et c'est tant mieux ! C'est d'ailleurs dans ces donjons que vous apprendrez les chorégraphies pour vous transformer, et naturellement là aussi que vous devrez en faire usage pour surmonter les obstacles. Le disposition des ennemis est largement moins frustrante que dans l'overworld et les énigmes sont sympathiques, assez simples sans être trop évidentes. Les boss ne sortent eux pas vraiment de l'ordinaire, mais ils restent tout à fait valables. En fait, ces donjons laissent un arrière-goût amer dans la bouche du joueur, non pas parce qu'ils sont mauvais - loin de là, comme je viens de vous l'expliquer - mais tout simplement parce qu'ils rappellent combien le jeu aurait pu être meilleur si l'overworld avait été pensé avec un level design similaire, certes moins labyrinthique mais qui aurait été loin des lignes droites barbantes avec lesquelles on s'est retrouvées. Au moins, les donjons sont suffisamment consistants que pour occulter sensiblement le défaut principal du jeu.



Traverser les donjons, avec leur level design plus adapté au genre, est bien plus plaisant que se retaper l'overworld.


J'ai parlé des NPC tout à l'heure, sans entrer dans les détails. Les NPC des platformers de la GBC sont rarement une chose sur laquelle on s'attarde en règle générale, il faut dire. Hé bien, ici, ils le méritent vraiment ! Il faut dire que derrière Shantae, il y a surtout une personne : Matt Bozon, qui s'est à la fois chargé du game design, des animations, du script et des artworks ! Il a donc eu l'occasion de créer des personnages attachants pour un univers tout à fait personnel, sa maîtrise du sprite art n'y étant évidemment pas étrangère. L'attention a été poussée jusqu'à créer des personnages qui n'auraient même pas été conçus en règle générale, comme une gérante aguicheuse à l'entrée des bains, différente à chaque village ! C'est ce genre de détail qui apporte de la profondeur aux univers des platformers. L'OST du jeu, composée par Jake Kaufman (dont le parcours rappelle un peu celui de WayForward), sert admirablement bien l'ensemble et apporte une touche finale à l'identité du jeu : Elle mélange des sonorités orientales à la chiptune avec des genres différents comme le metal avec Boss, la house avec File Menu (oui, je suis resté sur l'écran titre) ou même le hip-hop avec Bandit Town et le big beat avec Night Travel 2. Kaufman cite même Cypress Hill et The Chemical Brothers en influences ! L'univers de Shantae est une réussite, pas de doute là-dessus.



Risky Boots et Shantae <3


Bref, Shantae est un jeu injustement oublié par le public de l'époque comme par l'histoire du platformer en général. Si attaquer les ennemis demande une certaine maîtrise et si le level design de l'overworld n'est pas toujours optimisé pour le genre, la fluidité des déplacements et les donjons se chargeront de relever le niveau. Quant à ses aspects visuels et musicaux, ainsi qu'à son univers en général, le jeu n'a à pâlir devant aucune grosse production de la console !

À noter que Shantae a eu droit à une suite (basée sur l'opus GBA annulé) récemment, en 2010, cette fois-ci aux États-Unis ET en Europe (mais pas au Japon, tiens). Cependant, le jeu n'étant sorti que sur DSiWare (et sur iOS mais bon derp), je n'ai malheureusement pas la possibilité de le faire... pour le moment.


PS : Tous les screenshots proviennent du site officiel de Matt Bozon. Il a du prendre les screens avec un émulateur et des cheats pour aller plus vite, parce qu'il est impossible d'avoir une si belle interface aussi tôt dans le jeu (on ne démarre qu'avec 3 cœurs et le fric tombe pas du ciel). Désolé pour ça, mais c'est le seul endroit où il y a des screens propres de ce jeu sur Internet.


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