Shadow Hearts
Sorti en 2002, période des grosses sorties pour la PlayStation 2, ce RPG de Sacnoth est une excellente surprise même s’il a dû vivre sous l’ombre des blockbusters à cette époque.
Joueurs avides d’expériences et d’univers aux antipodes dans le C-RPG, lisez cette page.
Magicien gentleman, exorciste tourmentée et héros démoniaque. Une nuit, dans un train…
Shadow Hearts nous invite dans notre propre monde en 1913, un monde plongé dans l’horreur et du mysticisme. Dès l’ouverture, le prologue nous raconte l’histoire du meurtre sordide d’un prêtre. Sa fille, Alice Elliot ayant assistée impuissante à cet assassinat, se retrouve embarquée dans le Express Transsibérien par l’armée japonaise, désireuse de ses mystérieux pouvoirs…
Mais au même moment, surgit un gentleman à l’apparence si tranquille, qui se révèle être l’assassin du prêtre et il s’attaque sans crier gare aux japonais retenant la jeune fille. Malheureusement, il ne pourra pas enlever Alice par l’intervention soudaine d’un mystérieux jeune homme, Yuri Hyuga. Au cours d’un combat sur le toit du train, Yuri parvient à tuer l’étrange vieil homme prénommé Roger Bacon et à s’enfuir avec Alice, mais c’est ce qu’il croit…
Suivant une route imprévisible, le perturbé Yuri souhaite accompagner Alice dans une Chine maudite par des monstres, la sorcellerie et l’armée japonaise…
A première vue, ça commence bien... /////// Même les villages, pourtant synonyme de repos et de tranquillité, ne seront pas toujours des lieux très fréquentables...
Un univers inhabituel… mais sous une couche old-school ?
Suite non directe du déjà très atypique RPG Koudelka, Shadow Hearts étonne toujours par son ambiance sombre, gothique, parfois sordide et son contexte historique. Rare sont les RPG qui nous projette dans notre propre monde, encore plus rare sont ceux qui renvoient à une époque réelle, ici le prélude de la première guerre mondiale, même s’il y a de l’uchronie dans l’air.
Si le climat se veut très sérieux et glauque, il dévoile aussi pas mal d’humour avec notamment le très désinvolte et provoquant Yuri qui n’hésite pas à dire ce qu’il pense posant parfois un véritable contraste avec l’ambiance noire du jeu. Le fil directeur de l’histoire nous fera rencontrer de nombreux personnages, parfois sinistres, parfois tragiques ou comiques. Yuri se fera de nombreux compagnons aux personnalités bien distinctes qui apporteront beaucoup de vie dans ce monde bien sombre.
Ce anti-héros est un excellent personnage, attachant (comme ses compagnons, parfois délirants) et hors norme (il se considère comme fou à cause de sa "schizophrénie") qui nous fera partager de très bonnes péripéties aux thématiques moins habituelles. Le scénario est bien mené en mélangeant différentes intrigues et l’aspect dirigiste du soft ne dérangera pas tant que ça le joueur… sauf s’il est allergique au principe du jeu dirigiste.
Entre deux moments de tension, Yuri en balancera toujours une pour détendre l'atmosphère. //// Mais oh mon Dieu, quelle classe, quel charisme! On en fait plus des monsieurs de ce gabarit!
Comme Koudelka, l’univers tend vers le Survival Horror, mais en s’éloignant du 8 clos au profit d’un voyage plus varié. Ce trait caractéristique est donné par ses graphismes 2D avec le rendu de la fausse 3D rappelant l’époque de quelques RPG de l’époque PlayStation (notamment les Final Fantasy), mais surtout le Survival Horror ici. Le joueur avance donc à travers différents tableaux fixes dont la direction artistique n’en reste pas moins splendide. Si les décors évolueront toujours sous un ton morbide, les environnements n’en resteront pas moins très diversifiés pour ne pas lasser le joueur.
En revanche la modélisation 3D des personnages a un peu vieilli et semble très inégal. En effet, l’animation est très sobre d'une part, les visages sont presque inexpressifs, cependant les effets visuels des magies restent chouettes : certains sorts sont impressionnants. Par ailleurs, si la modélisation est moyenne, le chara-design reste de qualité (Roger Bacon a une telle prestance, oui encore lui) et l’apparence des monstres, nageant dans l’horreur presque gore, est réussi et donne une incroyable atmosphère au jeu.
Horrifique ou pas, on reste intrigué par l’environnement qui nous entoure. L’ambiance sonore, signé Yasunori Mitsuda et Yoshitaka Hirota, reste en accord avec le monde de Shadow Hearts, des musiques sombres, angoissantes ou étranges. Certaines compositions se montrent originales. Si des notes restent en tête, les musiques sont loin d’être inoubliables, mais elles se montrent satisfaisantes dans leur devoir de rendre le jeu immersif.
On regrettera seulement un doublage anglais trop peu présent (seulement lors des "grandes" cinématiques, ou durant les combats) qui aurait mérité à animer les dialogues. Le doublage en lui-même est correct. Cela dit, en plus de ses graphismes 2D, ce second point donne un côté "rétro" assez charmant au jeu.
Le voyage de Yuri le conduira dans des quartiers de villes célèbres, comme Londres. ///// Certains lieux nageront dans le surnaturel, contrastant ainsi avec des lieux réels.
L’heure du jugement a sonné… C'est la roue de la Fortune avec le démon Lagaf'!
Si l’univers est aux antipodes du genre habituel, le gameplay paraît plus classique, mais il n’en est rien au final.
L’anneau du jugement.
L’ensemble des règles du jeu tourne autour de ce fameux anneau, à commencer par le système de combat. S’il paraît très convenu au premier abord : en se promenant dans les lieux à risque, les combats contre les monstres se déclenchent de façon aléatoire et on assiste ensuite au très répandu combat au tour par tour.
Sans entrer dans les détails, sur une équipe de trois personnages, le joueur devra choisir son action au cas par cas (attaque/aptitude spéciale/objet/défense/changer de position entre défensive et offensive) et on s’apercevra que chaque action nécessite d’utiliser la fameuse roue du jugement.
Comment cet anneau se matérialise ?
Si on lance une simple attaque, par exemple, elle sera qu’accomplie si on fait preuve d’un bon timing : en haut de l’écran apparaît la fameuse roue, dont une sorte d’aiguille en fait le tour dans le sens des aiguilles d’une montre et le but est de faire stopper l’aiguille sur la zone verte de la roue pour accomplir notre acte. En effet, si on loupe notre essai en stoppant l’aiguille en dehors de la section verte, ou que l’aiguille fasse le tour du cercle sans avoir été stoppé, l’action échouera.
Voilà comment se présente l'anneau du Jugement, avec un bon timing on peut déclencher des attaques dévastatrices. ///// Même dans le cadre des énigmes, l'anneau du Jugement sera présent.
Il faut savoir que les combinaisons des anneaux de jugement diffèrent selon les manœuvres, diversifiant sans cesse ce gameplay. Pour utiliser un simple objet, il suffira de stopper l’aiguille sur une seule zone, mais pour lancer une magie, il faudra stopper à la suite l’aiguille sur les différentes zones vertes pour que le sort soit lancé, exception pour l’attaque physique qui peut être lancée si on a réussi à stopper l’aiguille sur la première zone. Notons que les dégâts physiques et magiques peuvent augmenter si on stoppe l’aiguille dans une partie de la zone verte, la zone rouge. Ce système qui est basé sur l’adresse et le timing évoque un peu les opus RPG de Mario.
Comme pour toute chose, il faut un certain temps d’adaptation pour s’y faire à cette roue qui enragera plus d’un s’il échoue. C’est assez amusant de voir que cette roue est partout dans l’univers du jeu sous d’autres formes : pour résoudre une énigme, pour obtenir une réduction d’un produit… Une fois habitué, cet anneau du jugement restera assez amusant et apportera toujours une certaine nervosité dans les combats, d’autant plus que les monstres peuvent lancer des altérations sur l’anneau (vitesse, zone vertes invisibles…).
Aux portes de la folie, nervosité et traqué par la Mort… Rude programme.
Hormis cette caractéristique, les combats restent tout à fait traditionnels dans le monde du RPG japonais, donc de la lignée d’un Final Fantasy, mais l’anneau du jugement n’est pas le seul élément perturbant le classicisme. En effet, en regardant les statistiques des personnages, on verra les Points de vie, point de magie et… les EM. Qu’est-ce que c’est?
Ce sont les points d’Équilibre Mental. Lors d’un combat, la santé mentale des protagonistes est à son paroxysme et plus le combat dur, plus la santé se fragilise. Concrètement, on perd un EM à chaque tour et si le compteur tombe à 0, le personnage deviendra fou (incontrôlable). Chaque combat est une course contre la folie et il faut en finir le plus vite. Heureusement, il existe des objets pouvant rétablir des EM, mais cet attribut donne une nouvelle dimension aux combats, certes plus casse pied qu’autre chose, mais ça permet de donner du piment aux combats, qui sont rarement difficiles.
Autrement les EM n’apportent rien de particulier dans les combats, sauf pour Yuri.
Yuri est un personnage particulier, c’est un "harmonixeur", il a la capacité de se transformer en monstre. Chaque transformation, dite fusion d’âme, consomme un certain nombre d’EM, mais heureusement, Yuri a largement plus d’EM qu’une fragile Alice pour être inquiet, c’est un homme après tout!
J'ai adoré l'ambiance dans ce village pour l'histoire du "Château Bleu". ///// Les monstres ont une tronche parfois repoussante, exemple avec le bras sortant de la gueule du chien ou le zombi qui se bat avec un pieu dont est planté son cerveau... Il faut absolument que je les invite pour diner!
De plus, ces transformations rentrent vers un autre aspect du jeu : le cimetière.
Cet univers lugubre se situe dans une autre dimension imaginé par l'esprit de Yuri. C’est ici que notre anti-héros, évidemment seul, pourra récupérer ses nouvelles transformations, ses fusions d’âmes avec des monstres. Réparti en six catégories, Yuri pourra affronter un monstre dans le cimetière pour récupérer son âme quand il aura au préalable récupérer suffisamment d’âmes de monstres normaux tués en cours de route.
Cependant, ce havre du repos des âmes des monstres tués par Yuri peut bouleverser le monde réel. En effet, plus il y a d’âmes dans le cimetière, plus la malveillance de ces monstres augmentera, représentée par une jauge. Si cette haine des monstres vaincus s’accumule au-delà d’une certaine limite, l’allégorie de la Mort apparaîtra et prendra en chasse Yuri dans le monde réel. Cette créature hantant les pensées de Yuri, apparaîtra dans un combat aléatoire quand la jauge de malveillance sera rouge, signe de la limite maximale.
Heureusement, il existe un moyen de vider cette accumulation de malveillance : en allant l’affronter en personne dans le cimetière!
Ce système oblige donc le joueur à surveiller régulièrement sa jauge de malveillance, s’il souhaite terminer son aventure vivant… On pourrait trouver ce même système assez inconvenant, nous obligeant à faire régulièrement des allers retours dans ce cimetière pour rendre ces séquences rébarbatives. Malgré tout, cette visite dans cet autre monde se fait très rapidement et de façon fluide. On accède au cimetière à partir d’un point de sauvegarde.
Dans le cimetière, c'est devant une pierre tombale qu'on pourra affronter le monstre qui nous donnera l'âme fusionnelle... s'il est là du moins. //// Cet étrange personnage masqué hante l'esprit de Yuri...
A titre personnel, je n’ai pas trouvé le principe de la jauge de malveillance redondante, au contraire, elle profitait à l’ambiance nerveuse et horrifique du jeu. Le fait de mettre en place une limite à ne pas franchir pour ne pas être poursuivi par un monstre surpuissant évoque sans nul doute l’atmosphère d’un survival horror.
"Shadow Hearts est l’exemple même du RPG simulation de promenade à travers l’Europe..."
Comme il a été dit précédemment, le jeu est assez dirigiste, voir même minimaliste sous l’aspect « exploration ».Ici, on ne peut pas se balader librement sur une World Map, les différentes zones, se débloquant au fur et à mesure, sont visibles sur une simple carte et il suffit donc d’en sélectionner une pour entrer dans ce lieu. D’ailleurs, dans la première partie du jeu, il est impossible de retourner dans les précédents niveaux qu’on a traversés.
On l’a sans doute compris, Shadow Hearts va à l’essentiel dans son level-design, seuls les donjons se montreront parfois labyrinthiques. En aucun cas, cela m’a gêné et toutes les séquences de jeu s’enchainent de manière logique et réfléchie.
Simple, c'est via cette carte qu'on peut se rendre aux différentes zones. ///// Ce donjon est un véritable labyrinthe dont les pièces se ressemblent... Copain de Shin Megami Tensei?
On boucle l’histoire principale entre 25 heures et 30 heures. Certes, ce n’est pas très long, mais c’est amplement satisfaisant et on ne ressent pas que c’est bâclé… ou du moins, c’est ce que j’ai ressenti, d’autant plus que le scénario du bébé de Sacnoth aura deux suites directes toujours sur PlayStation 2 : Shadow Hearts : Covenant et Shadow Hearts : From the New World.
Par ailleurs, on trouvera les classiques quêtes annexes pour peaufiner l’univers du jeu, nous permettant de voyager dans des donjons optionnels sous une intrigue secondaire (parfois). De plus, il y a deux fins, dont les critères à remplir pour la bonne sont loin d’être évidents…
Débarqué au mauvais moment à cause d’un certain Final Fantasy, ce RPG est devenu difficile à acquérir, mais cette perle rare mérite vraiment le coup d’œil pour son univers sombre et original, et son gameplay efficace apportant de nouvelles idées.
Bien qu’il soit indirectement la suite de Koudelka, la compréhension de l’univers n’en pâti pas, même si on aura des références au premier opus sur PlayStation. Ceci dit, la traduction française reste douteuse et techniquement le jeu est inégal, mais loin d’être sans charme… horrifique…
Au final, Shadow Hearts est un RPG hybride rafraichissant avec des personnages bien classes (surtout le très élégant Roger Bacon), une ambiance lorgnant dans le Survival Horror et un gameplay intriguant qui mérite d’être vécu.