PlayStation 2   Gregory Horror Show : Soul Collector   Survival horror   2003  PAR Folkefiende 





Les jeux basés sur des mangas ou des animes forment un véritable monde à part dans le paysage vidéoludique. Ils sont l'occasion pour les développeurs d'intégrer un univers précis dans un projet plus-ou-moins original, et pour les fans de retrouver leurs persos fétiches avec l'interactivité en plus. Des jeux de combat Ranma ½ aux shmups Macross, le succès est souvent au rendez-vous vu les commandos entiers d'otakus qui n'attendent que de sauter dessus... même si les localisations sont, de tout évidence, toujours loin d'être considérées comme un dû aux joueurs occidentaux. Il faut dire que la publication hors du Japon des jeux de ce genre représente un certain coût (traduction, droits, etc) pour des résultats commerciaux pas forcément aussi extraordinaires que dans leur pays natal, surtout lorsqu'il est question d'adaptation d'œuvres de niche. Il arrive cependant que des exceptions se retrouvent par miracle dans les line-ups outre-archipel, et c'est le cas de Gregory Horror Show: Soul Collector qui est bel et bien sorti en Europe... alors que rien ne l'y prédestinait.

L'anime Gregory Horror Show sur lequel il est basé, diffusé à partir de 1999 et terminé en 2006, n'a en effet rien de traditionnel. Oubliez vos shounen musclés et vos harems de moeblobs ; ici, il n'y a à vrai dire même pas de... 2D, puisque tout est fait de modélisations cubiques en 3D minimaliste mettant en vedette des animaux anthropomorphiques ! Même le format des épisodes n'a rien à voir avec ce à quoi on peut s'attendre en général d'un anime, puisqu'il s'agit d'une suite d'épisodes très courts de quelques minutes souvent conclus par une morale bizarre. Plus étrange encore, il n'y pas vraiment de héros : Tout est vu à la première personne depuis le regard du protagoniste ! À vrai dire, cette réalisation jure tellement avec le reste de l'animation japonaise qu'on pourrait très bien la prendre pour une œuvre étrangère. C'est pourtant bien un Japonais, Naomi Iwata, qui en est le créateur. Venons-en au fond de la chose : La "Gregory House" est un hôtel glauque tenu par une vieille souris du même nom, dans lequel un gars paumé se retrouve sans trop savoir pourquoi ; bien sûr, il va rapidement faire face à des évènements étranges et rencontrer des personnages inquiétants au sein de ce curieux manoir...

L'anime n'a même jamais été publié officiellement en Europe, puisqu'il n'aura pas dépassé les États-Unis... et même aux States, son succès d'estime reste fondamentalement underground. Alors, quand les gars de chez Capcom (rien que ça) ont décidé d'adapter cet étrange anime en jeu vidéo, pourquoi ont-t-il décidé de le localiser en Europe sans laisser les USA bénéficier de la localisation ? On pourrait même se demander : Pourquoi ont-ils décidé de le localiser TOUT COURT, sachant que son succès se résumerait très probablement à quelques achats d'une frange carrément marginale de japanophiles ou de curieux ? Aucune idée. Mais si le jeu est là, et accessible à tous, autant ne pas se priver !



Naomi Iwata est un habitué des animes pour enfants... à sa manière. Étonnant que son œuvre ait fini par atterrir ici.


Le scénario du jeu est sensiblement le même que celui de la série animée, avec la possibilité de choisir le sexe du protagoniste. Vous vous retrouvez perdu dans les bois sans trop savoir ni comment ni pourquoi et finissez par trouver abri dans la Gregory House, faute de mieux. Gregory vous amène à votre chambre en faisant tout un tas de commentaires horrifiques peu subtils... mais ce n'est que le début. Après vous êtes couché, vous rencontrez la Mort elle-même dans vos rêves : Elle vous explique que la Gregory House n'a rien d'un hôtel ordinaire et vous propose de vous laisser "retourner à la réalité" en échange d'artefacts appelés "âmes". Et comme vous l'expliquera votre étrange voisin de chambre Neko Zombie, vous n'avez pas vraiment le choix...

Étant donné l'orientation de l'univers sur lequel le jeu est basé, il était évident que "l'horreur" allait y jouer un rôle. C'est effectivement le cas : Le jeu est une sorte de mélange particulier entre Luigi's Mansion, Rule of Rose et Animal Crossing. Dit comme ça, ça peut paraître intéressant ! Cela dit, c'est un petit peu moins réjouissant que ça en l'air...

Le jeu prend exclusivement place dans la Gregory House, vous y êtes confinés pour l'entièreté du jeu. Votre but est donc de récupérer ces "âmes" que la Mort vous réclame au cours de quatre chapitres correspondant chacun à une nuit. Mais comment peut-on les récupérer ? Hé bien, sachez que dans la Gregory House, vous n'êtes pas seul ; il y a tout un tas d'autres invités... particuliers. Il se trouve que ceux-ci possèdent chacun une de ces âmes que vous cherchez tant, et il va falloir leur dérober !

Dans un premier temps, ces locataires tenteront de vous éviter, bien conscients de la raison pour laquelle vous leur traînez autour. Il va donc falloir trouver un moyen pour vous saisir de l'âme tant convoitée lorsqu'ils ont leur garde baisée. Chacun d'entre-eux nécessite un mode opératoire particulier pour être pris au dépourvu et, pour cela, il va vous falloir rassembler des informations pour établir votre plan. Pour ce faire, il vous faudra espionner les différents locataires en regardant par le trou de la serrure, décelant les indices que ceux-ci laissent s’échapper lors de monologues révélateurs que vous n'êtes pas supposés écouter.

Bien sûr, ce n'est pas faisable n'importe quand. En effet, le jeu est basé sur un système d'horaire : Les différents pensionnaires ont un emploi du temps bien précis, et c'est à vous d'exploiter cela pour savoir quand espionner et, surtout, quand tenter de tomber sur le dos de la créature dont vous souhaitez dérober l'âme bien gardée une fois son point faible cerné. Et, à vrai dire, c'est là que le bât blesse : Le temps coule assez lentement, et même avec les indices obvious rassemblés lors de vos séances d'espionnages, le timing exigé et la technique requise pour réussir à prendre un personnage par surprise ne sont pas des plus pratiques à mettre en action. Et si vous manquez le larcin, vous êtes parti pour devoir attendre un bon moment avant de pouvoir retenter votre coup.

Cette gestion de l'horaire inclut aussi un autre élément : Votre Mind Gauge. Concrètement, c'est votre barre de vie ; sauf qu'elle ne chute pas après des coups ennemis, mais qu'elle se vide automatiquement par le temps passé dans la Gregory House. Pour récupérer de cette énergie, vous pouvez allez vous coucher ou consommer plantes et autres mets disséminés dans l'hôtel, et vous pouvez d'ailleurs aussi trouver des bouquins vous permettant d'augmenter la capacité de la jauge. Bref, encore un autre détail à prendre en compte ans l'échafaudage de vos plans...



Le sens des tours à jouer devient quand même assez vite borderline, même avec l'aide des indices facilement accessibles.


Ne vous méprenez pas, cela dit. Le jeu n'est pas difficile, loin de là ; il peut être frustrant, mais une fois que vous avez capté le truc, il y a moyen de s'en sortir sans trop de problème. Force est de constater, cela dit, que le jeu n'est pas très convaincant dans le gameplay qu'il tente de mettre en place ni même très folichon avec ses 12 âmes qui ne vous prendront pas plus de 10h à collecter et qui ne laissent pas vraiment le temps à l'aventure de développer un réelle profondeur.

Ce qui réhausse un peu le niveau du game design, cela dit, ce sont les éléments à la fois de survival horror et d'infiltration qui y ont été ajoutés. Effectivement : Lorsqu'un des locataires s'est fait voler son âme, il se mettra TRÈS en colère, et se mettra à vous poursuivre dès qu'il vous apercevra dans les couloirs de l'hôtel. Vous ne pouvez absolument pas vous défendre face à ces monstres, et votre unique solution est donc de simplement les éviter... ou, si vous êtes pris, de courir et de vous cacher, en espérant qu'ils ne vous débusqueront pas... car si c'est le cas, il vous feront vivre un Horror Show, qui sera un coup sévère à votre Mind Gauge et sûrement aussi la cause de gênantes altérations de statut. Ça transforme les expéditions à travers la Gregory House en parties de cache-cache permanentes qui, si le jeu avait été plus complet et approfondi, aurait pu être une véritable source de sueurs froides !

Notez que vous avez le choix de garder les âmes que vous chopez plutôt que de les donner directement à la Mort, au maximum de trois par chapitre. Elles boostent votre Mind Gauge, mais vous encourrez en contrepartie un sacré risque : Si le locataire vous retombe dessus et vous piège dans un Horror Show, il se réappropriera son âme chérie. Et il vous faudra recommencer tout le processus que vous connaissez désormais pour la récupérer à nouveau, chose que vous ne voulez PAS faire ; c'est donc un bon moyen de relever un peu le système d'infiltration pour ceux qui auraient envie d'exploiter malgré tout ses bonnes idées en se donnant un sacré incentif pour ne pas se faire choper. Dans tous les cas, établir des routes de fuite en s'aidant de la map comme d'un radar et de ses notes sur les emplois du temps des pensionnaires comme de memos, ou encore se cacher in extremis dans une armoire pour fuir une créature furieuse, ça reste la partie la plus cool du jeu.



aaaAAAAAHHH fuck fuck fu- fuyez, sinon vous êtes bons pour un H... Trop tard.


C'est donc dommage que cet aspect intéressant du jeu soit assez gâché par un gameplay approximatif et un contenu pas très consistant. Cela dit, il a la chance d'être magnifié par ce qui est de toute évidence le fer de lance du jeu : Son univers issu de la série animée. En effet, Gregory Horror Show, c'est très... déconcertant. L'univers a tout de la série d'horreur pour enfant ; vous savez, ces espèces de parodies des codes de films d'horreur à l'image et aux dialogues adaptés à un jeune public. Tout... sauf le ton implicite de l'ensemble. En fait, c'est comme si tout avait été pensé pour des gosses, du style graphique à l'humour, mais que le niveau de lecture avait été oublié dans le processus de cartoonisation. Ça n'est pas apparent quand on regarde la boîte du jeu, c'est vrai... mais quand Gregory nous explique que le Neko Zombie était un chat au poil magnifique avant qu'un mystérieux individu l'arrache à son maître pour lui coudre les yeux, la bouche et les oreilles, et que l'état de psychose dans laquelle cette torture l'a plongé le rend si agressif qu'il faut l'enfermer 24/24h, on sent qu'il y a un truc de... pas normal. Ajoutez à ça des références culturelles surprenantes, comme à Ingmar Bergman ou à Jack Ketch, et vous voilà définitivement déstabilisé pour de bon. Cette ambigüité donne un résultat vraiment particulier, et c'est sans doute ce qui fait tout le charme de Gregory Horror Show.

Et en plus de tout, le jeu est entièrement doublé. Oui, vous avez bien lu : On se demande encore comment ce jeu a pu être localisé, et en plus il a été doublé en anglais. What the fuck. Je n'ai aucune idée de ce qui a bien pousser Capcom à investir là-dedans, mais ils l'ont fait. C'est vrai que c'est un peu dommage qu'ils n'aient pas pensé à inclure le doublage japonais original avec, mais ne crachons pas dans la soupe ; surtout que ce doublage est plutôt pas mal, en plus ! La Mort a même un accent afro-américain dans cette version anglophone... « Throw away all 'dem worries! »



Y a pas à dire, la Gregory House est unique en son genre... et étonnamment dérangeante.


Au final, que penser de Gregory Horror Show: Soul Collector ? Le jeu est effectivement original, et son inattendue localisation de qualité ne peut que faire plaisir. Malheureusement, le jeu est plombé par un game design bancal et un manque de profondeur, laissant les bonnes idées au point mort. On peut tout de même dire que l'univers sur lequel le jeu se base le sauve de justesse, mais ça reste moyen dans l'ensemble. C'est dommage, car le jeu aurait pu aboutir à bien mieux... On lui préfèrera donc un Luigi's Mansion, moins osé mais bien plus abouti et maîtrisé.

Et pour conclure, une petite anecdote : Le game designer de Gregory Horror Show se retrouvera des années plus tard à bosser sur un jeu qui contient lui aussi du sang, et en bien plus large quantité d'ailleurs : Un certain... MadWorld ! Hé oui...


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