« Remember, wherever you go, it is the blood of Caine which makes our fate. Farewell, Vampire. »
Avant de parler de Vampire le jeu, il serait plus avantageux de dire quelques mots sur l’univers sur lequel il est basé. Vampire : La Mascarade (le nom sonnera sans doute de manière familière à ceux qui se sont intéressés aux Jeux de Rôle Papier) est l’un des nombreux fragments de l’univers de World of Darkness.
Ici, Cain, après avoir trahi son frère Abel, donnera naissance à une dynastie d’enfants vampiriques qui tenteront tant bien que mal de survivre durant les quelques temps qui vont suivre, avant de se diviser en deux factions majeures : l’une est la Camarilla, sorte de société secrète à l’organisation très stricte visant à préserver le secret de l’existence des vampires et l’autre est le Sabbat, administrativement moins doué mais moins tordu, qui au contraire cherche à asseoir sa domination peu subtile sur l’humanité.
C’est dans ce contexte tendu que vous, oui vous là, jeune homme ou femme d’âge mur, alors que vous étiez sur le prendre un bon temps avec une personne pas trop louche, vous êtes transformé en vampire, arrêté par les autorités compétentes du monde vampirique et forcé à regarder l’exécution de votre « Sire ». Heureusement pour vous, le Prince Lacroix (autorité locale du coin) décide de vous épargner et de vous voir si vous pouvez être un bon membre de la société.
La création de votre personnage peut se faire par deux méthodes : remplir un petit questionnaire pour que le jeu décide à votre place ou bien tout simplement choisir parmi les 7 clans vampiriques (qui agiront ici plus en classe) et nombreuses spécialités qui peuvent modifier certaines statistiques.
Vampire : Bloodlines, sorti le 16 Novembre 2004 sur PC et développé par le défunt Troika (aussi développeurs de Arcanum et Temple of Elemental Evil) est donc un RPG dans un contexte contemporain à l’esthétique lorgnant avec grand intérêt sur le gothique. Vous pouvez par conséquent dire au revoir aux châteaux de Transylvanie et dire bonjour à Los Angeles en 2004, où les prophètes aux pancartes, les clodos et les prostituées vont remplacer têtes de méduse et les lézards géants.
Ainsi, vous, jeune vampire, devrez trouver votre place dans ce monde incroyablement tordu au fil de votre avancée à travers quatre hubs (Santa Monica, Downtown, Hollywood et Chinatown)… et l’aventure s’annonce ardue car le monde surnaturel semble s’être décidé à faire de votre non-vie un enfer.
The Game begins. A pawn is moved.
L’une des choses qui surprend dès vos débuts dans le monde des Vampires est le respect que les développeurs ont accordé aux règles du Jeu de Rôle Papier, qui réussissent leur passage au format jeu vidéo à merveille. Vous obtenez des points d’expérience en accomplissant des objectifs de quête et ces points d’expérience sont ensuite distribués dans les diverses catégories afin d’augmenter les statistiques dans la colonne de droite. Certaines sont ici pour augmenter vos capacités combatives, vous rendre invisible, vous rendre plus sexy. Les actions particulières comme pirater un ordinateur pour en obtenir le précieux mot de passe nécessitent un certain niveau dans la statistique liée. Cela s’applique aussi pour les dialogues où bien souvent un haut niveau de Charisme vous donnera accès à de nouvelles options qui peuvent se révéler fort utile.
Cette forte diversité des statistiques se traduit notamment dans les quêtes. Vampire : Bloodlines est indubitablement l’un des jeux les plus originaux en termes de quêtes. Les tâches que vous aurez éventuellement à faire peuvent aller d’une simple enquête pour retrouver une personne disparue à la traque d’une épidémie mortelle qui ravage les rues de Los Angeles. Chaque quête possède sa propre histoire et sa propre manière d’y succéder et les développeurs ont tenté dans la mesure du possible d’encourager l’utilisation de moyens alternatifs. Bien sûr, il restera toujours l’éventualité peu subtile de massacrer tout ce qui bouge même si cela n’est pas une obligation (dans la plupart des cas) mais il y a de forte chance que les récompenses soient moins intéressantes.
Disséminés à travers les quatre quartiers du jeu, faire les quêtes annexes est souvent un plaisir malsain juste pour voir les situations vicieuses dans lesquelles vous pouvez vous trouver et trouver un moyen de s’en sortir sans vous faire tuer. Et puis, qui dirait non à des points d’expérience en bonus ?
Bon, au fond, je n’ai peut-être pas si envie d’entrer dans la chambre que ça.
Le Gameplay en lui-même est assez… basique. Se jouant comme un Action-RPG, vous pouvez changer entre une vision à la 3e personne (généralement utilisée pour le combat au corps-à-corps ou l’infiltration) et une vision à la 1ère (pour le combat à distance ou l’exploration). Votre maîtrise des différents atouts dépend donc de vos stats. Pour vous résumer de manière simple, un jeune vampire au début du jeu ne fera pas trop mal et aura des options limitées tandis qu’un vampire à la fin du jeu ayant fait son lot de quêtes annexes aura l’immense plaisir de massacrer des hordes d’ennemis en riant comme un maniaque.
Outre la gratification à passer devant un ennemi sans se faire repérer ou lui fracasser le crâne à coup de battes, le combat manque de variété. Le corps-à-corps se résume à une seule et unique série de coups exécutée en massacrant le clic gauche et le combat à armes à feu, s’il reste sympathique, est facilement surpassé par les nombreux ténors du FPS. Vous pourrez toujours vous amuser à utiliser les capacités exclusives à votre clan (qui vont du simple affaiblissement à la transformation en loup-garou en passant par sucer du sang en masse) et en admirer les effets, mais le système de combat ne dépasse pas l’acceptable et peut devenir assez fastidieux dans les quelques parties du jeu concentrées sur lui.
On peut discuter ?
Nonobstant ce système de combat banal, le jeu est ridiculement facile à prendre en main. Toutes les informations (statistiques requises, améliorations etc.) s’affichent sur en haut à gauche de l’écran. Les interactions avec objet et personnes sont affichées en bas de l’écran, sur les deux côtés s’affichent vos deux barres : une bleue, représentant votre vie, et une rouge, représentant votre sang. Cette dernière sert à utiliser votre panel de capacités. Pour réobtenir votre sang, il vous faudra trouver un pauvre humain (ou rat, si vous êtes désespéré) et planter vos magnifiques crocs dans sa gorge. Mais attention ! Il vous faudra être prudent à choisir vos cibles. Si vous pouvez massacrer de la racaille dans des immeubles sans souci, attaquer un pauvre civil en plein milieu de la rue pourra vous causer de légers ennuis.
Ha Santa Monica… son aliasing, sa pluie, ses bâtiments délabrés…
On en vient éventuellement à peut-être le point le plus fort du jeu : son atmosphère. Vampire, en effet, se distingue en effet par son ambiance unique dont le seul équivalent serait Shadow Hearts. Tout l’effort a été concentré à rendre le jeu le plus immersif au possible, et le résultat est tout simplement magnifique : la société vampire s’incruste de manière parfaitement crédible dans la société humaine, avec ses codes, ses règles et ses particularités. Chaque dialogue (aidé par le magnifique doublage) se déroule de façon naturelle, donnant une personnalité distincte à chaque personnage, même aux PNJ inutiles.
Le jeu lui jongle régulièrement entre mysticisme, horreur, magouilles politiques et humour de manière fluide et quasi-parfaite. Du conflit entre les anciens et les jeunes à votre lutte désespéré contre les autres habitants du monde surnaturel dans des maisons vides et oppressantes avant de vous balader sur la plage et de voir une salle d’arcade avec Pitfall dans le même quartier où un cadavre déchiqueté traîne. Ce mélange en donne une ambiance spectaculaire qui vous happera dans le monde de Bloodlines et vous laissera aussi confus et fasciné que votre jeune vampire.
Je crois qu’on veut me dire quelque chose, je saurais pas dire quoi…
Cette ambiance est naturellement assistée de l’OST. En plus des nombreuses musiques qui donnent le ton de manière efficace s’ajoutent des musiques réelles utilisées pour la plupart des clubs. Cela résulte en un mix étrange qui réussit à coller à l’univers étrange de Bloodlines et accompagne les nombreux malades mentaux qui le constituent.
En plus de vos attributs techniques, les PNJ réagiront différemment en fonction de votre clan. Généralement, cela se résume à quelques lignes changés, mais dans le cas de Nosferatu et Malkavian, le changement prend une dimension… drastique.
L’horreur est un élément central de Bloodlines. Rempli de monstres qui avaient probablement été rejetés de Silent Hill ou d’éléments paranormaux qu’auraient apprécié les gars de Ghoul’s Forest III, vous apprendrez désagréablement que le vampire est au fin-fond de la chaîne alimentaire du paranormal. Vous vous retrouverez à flipper votre race, vous, être surnaturel capable d’envoyer valser des pauvres humains d’un revers de la main, au moindre bruit suspect. Cela est bien entendu mis en évidence par la mise en scène, similaire à Half-Life 2, utilisant de manière légèrement abusive le script sans pour autant enlever le contrôle du personnage au joueur.
Ce dit contrôle ne sera enlevé que lors des dialogues (qui nécessiteront toujours votre choix en matière de réponses) et les quelques rares scénettes qui ne durent presque jamais plus de dix seconde.
Non mais quel boulot de merde.
D’après ce qui est écrit, on pourrait croire qu’on a ici affaire à un Saint Graal. Malheureusement, il serait malhonnête de ne pas parler du développement légèrement confus du jeu et des problèmes qu’a eu Troïka vis-à-vis de Activision et Valve (le jeu utilisant une version ancienne du Source Engine). Nous n’entrerons pas dans les détails ici mais lorsque le jeu est effectivement sorti le même jour que Half Life 2, de nombreux bugs avaient été trouvés et uniquement deux patchs officiels furent donné au grand public avant que le studio ne passe l’arme à gauche (ce qui veut dire qu’acheter le jeu sur Steam ne donne pas d’argent aux développeurs, tirez-en la conclusion que vous voulez) et que la plupart des grands noms de la boîte ne rejoignent Obsidian. Ceux qui voudront jouer au jeu devront passer par cette page qui, en plus du patch officiel 1.2, a pris la liberté de restaurer une grande partie du contenu perdu (entre autres musiques et quêtes annexes) dans des patchs amateurs que je considérerais quasi-obligatoire pour mieux profiter du jeu.
Mais même avec ce travail fort appréciable, les limitations du Source sont présentes dans chaque zone et, même si cela n’empêche de jouer, il est toujours horriblement agaçant de se retrouver face à un énième bug de collision ou à votre personnage qui se retrouve bloqué dans une porte.
Bon ok quelque fois c’est marrant aussi.
Cela aussi se retrouve dans la progression globale de l’aventure. On voit un grand soin apporté aux quêtes annexes et à la diversité des options proposées jusqu’au moment où on voit que les développeurs ont du se grouiller de terminer le jeu pour éviter la vindicte de l’éditeur. De quêtes originales et intéressantes, on passe vers la fin à du typique « Entre dans ce donjon de 5 étages où tu devras massacrer tout ce qui bouge, Tango Charlie », associez à cela des boss finaux décevants et une fin un peu abrupt et on ne peut s’empêcher d’avoir un gout amer dans la bouche. De même, cela peut bloquer les pauvres âmes qui avaient tenté un personnage social et n’a fait pas fait assez de quêtes pour avoir un niveau de combat décent et donc auront une efficacité limitée contre des monstres faisant 5 fois leur taille.
A peine du vécu.
Néanmoins, il serait aussi malhonnête de négliger le tout pour cette partie finale qui tâche. Bloodlines est un jeu tout simplement à faire car il n’existera peut-être jamais un jeu comme lui. Son univers à mi-chemin entre réalisme et fantastique, horreur et comédie donne un résultat magnifique. On se prend au final un grand plaisir à démêler ce puzzle tordu où tout le monde tente de se poignarder dans le dos et à démêler la vérité du mensonge tout en essayant de ne pas se faire massacrer par les gargouilles, spectres, fous et autres abominations qui peuplent le monde. Il garde une identité graphique cohésive qui aide à construire un monde agréable et intéressant à regarder. Les musiques sont tout simplement magistrales, que ce soit les compositions originales ou celles empruntées pour le jeu, et la grande majorité des quêtes annexes sont facilement parmi les meilleurs et le plus amusantes dans un RPG. Il n’est sans doute pas le meilleur à cause de son gameplay rugueux et de sa progression assez lunatique mais il mérite définitivement sa place dans le Panthéon des grands.
Un mot pour la fin, Gary ?
Merci, Gary.