Un jeu inhabituel
Sorti sur de nombreuses plate-formes (Amiga, Atari ST, 3DO, DOS, PC, Mac, SNES, MD, ...) entre 1991 et 1993 et réédité en version améliorée sur Windows en 2006, Another World n'a rien d'un jeu comme les autres. Représentant mythique d'un genre presque inédit, à la génèse anecdotique et d'une réalisation toute particulière, le nom de cette œuvre mystérieuse risque pourtant de ne pas vous évoquer grand chose. Et puis, un jeu cité comme influence directe par Fumito Ueda (ICO) et Hideo Kojima (Metal Gear Solid) voire carrément considéré comme best game ever par suda51 (killer7), ça ne peut pas être qu'un simple jeu vidéo de plus ! En effet, voici la bête : Another World, un cinematic platformer développé par Éric Chahi.
... Un quoi ?
Un cinematic platformer. C'est un genre très particulier qui a été expérimenté par le premier Prince of Persia de Brøderbund et Impossible Mission sur Commodore 64, puis repris plus tard par Oddworld : Abe's Oddysee. En effet, car si la plupart (Si pas l'entièreté) des platformers "classiques" vous permettent de contrôler des personnages fantaisistes qui sautent dans tous les sens grâce à un moteur physique absolument irréaliste (Ce qu'on appelle le "Hop 'n Bop"), il en est tout autrement pour Another World : Votre personnage est un être bien humain, à morphologie humaine, et il n'est pas question de faire des saltos contre les murs pour vous accrocher à la patte d'un hibou. C'est le principe primordial du cinematic platformer : Le RÉALISME. Mais comment développer un tel jeu au début des années 90, surtout sur des consoles 16-bits me direz-vous ? Surtout quand on a pas le budget des majors ... Hé bien, en fournissant un gros travail graphique et en le scriptant partiellement. Cela donne un effet d'une fluidité exceptionnelle tout bonnement époustouflant pour l'époque, mais c'est aussi là qu'est le revers de la médaille : Le jeu est particulièrement rigide et il vous faudra développer votre timing si vous voulez sauter au bon moment et atterrir sur le rebord d'en face. Oubliez les sauts-toupie qui vous font décoller, ici on saute comme dans la vraie vie ...
Cependant, le cinematic platformer ne se limite pas à du "plus réalisme". Plutôt que de proposer une progression linéaire à travers un niveau continu, le genre emprunte des éléments du jeu d'aventure : Le jeu consiste donc plus en une suite de tableaux, avec des réactions bien particulières à avoir et que l'on doit deviner soi-même. Il va falloir donc cogiter et organiser vos plans en y mêlant course, saut, objets à utiliser et leviers à activer. Encore une fois, c'est assez rigide : Il faut vraiment avoir l'objectif en tête avant de pouvoir le réaliser, et le jeu se base sir un principe de "trial & error", autrement dit : Essayer un truc, crever, essayer un autre truc, encore crever, et ce jusqu'à ce que vous réussissiez. Cela peut paraître rebutant à première vue, mais c'est là aussi un des principes du genre. Et puis, pas de panique ! Il y a des sauvegardes automatiques et pas de Game Over.
Par ailleurs, le moteur graphique utilisé permet un décor beaucoup plus élaboré esthétiquement et un environnement beaucoup plus actif et nerveux, ainsi que l'insertion de ... cinématiques en 3D. Aujourd'hui, cela fait sourire, mais pensez un peu au mec qui a vu pour la première fois des personnages de polygones s'animer devant ses yeux après avoir foutu la cartouche dans sa pauvre MegaDrive ! Le jeu est aussi très court : Supposant que vous trouviez tout tout de suite, vous pourriez le finir en moins d'une heure ; mais ce ne sera évidemment pas le cas, et il faudra vous creuser les méninges plus longtemps que ça avant de voir les crédits de fin.
Et puis, c'est qui Éric Chahi ?
Éric Chahi est un graphiste/programmeur français. Il a d'abord bossé principalement sur des projets Amstrad pour le compte de Loriciels puis de Chip, avant de rejoindre Delphine Software en 1989. Il y collaborera notamment à la réalisation du jeu Les Voyageurs du Temps avec Paul Cuisset. À la découverte du célèbre Dragon's Lair (Que mon camarade Haga a testé, je vous le rappelle), il lui vient l'envie de tenter quelque chose de différent et il se met à réaliser quelques expériences. C'est là qu'il se familiarise avec le graphisme vectoriel et commence à y ajouter d'autres idées, favorisant la dynamique et l'immersion, et il arrive petit à petit à l'idée d'un jeu en polygones jouant sur la mise en scène et n'étant gêné par aucun HUD (Barre de vie, affichage de score, ...). C'est là que Chahi s'est lancé dans le projet d'Another World en faisant presque tout lui même (Programmation, animation, artworks et scénario) mais en laissant le soin des musiques d'ambiance à Jean-François Freitas. Il alla jusqu'à rotoscoper des séquences qu'il a lui-même filmées avec son caméscope pour créer les cinématiques ! 2 ans après, le développement du jeu était fini, et c'est Delphine Software qui l'éditera en Europe. Il a fallu 6 jours pour créer la Terre, et 2 ans pour créer Another World.
Le jeu n'a pas été un succès commercial, mais il a été bien accueilli par la critique et est aujourd'hui considéré comme un classique culte. C'est pourquoi, à l'occasion de son 15ème anniversaire en 2006, le jeu a subi une refonte graphique et a été adapté en haute résolution pour une re-release en superior sous le nom d'Another World : 15th Anniversary Edition. C'est la version ultime du jeu.
Et le jeu en lui-même ?
Le jeu raconte l'histoire de Lester Knight Chaykin, un jeune physicien qui atterrit dans un monde différent du sien après un raté dans l'expérience dans son laboratoire personnel. Après avoir manqué de mourir noyé et fait l'infortune connaissance de la faune locale, il est arrêté par un alien qui l'emprisonne avec d'autres extra-terrestres locaux dans un camp de travail. Il arrive cependant à s'échapper avec un des autochtones, et va devoir fuir pendant tout le jeu l'armée de la planète qui cherche à avoir sa peau ainsi que celle de son nouveau camarade d'infortune. Gunfights, vaisseaux spatiaux et fuites in extremis en perspective ...
Le jeu n'a pas eu de réelle suite. Chahi a dit qu'il voulait que le jeu reste un stand-alone avec un ending ouvert à toute interprétation. Le jeu a cependant eu une suite officielle, Heart of the Alien, où l'on contrôle le compagnon extra-terrestre de Lester, mais Chahi n'a pas participé à son développement et a exprimé des regrets pour avoir fait approuvé la réalisation de cette conclusion définitive sans ouverture, au contraire de ce qui était prévu à la base, et le considère plus comme un parallèle à l'histoire originale plutôt qu'un jeu canon. Cela dit, un jeu sans aucune connexion scénaristique et totalement indépendant de Chahi (Bien qu'aussi édité par Delphine Software), mais très semblable sur de nombreux points (Dont le gameplay et les graphismes) est sorti en 1992, encore sur de nombreux supports, appelé Flashback : The Quest for Identity. C'est aussi un jeu de qualité, et il détient par ailleurs le record du jeu français le plus vendu à travers le monde. La "suite spirituelle" la plus impressionnante restera sans doute Heart of Darkness, qui lui est de Chahi, un jeu sorti sur PS1 en 1998 au style graphique particulièrement soigné et avec la première OST entièrement orchestrée du monde du JV (Rien que ça) !
J'aimerais voir quand même ...
Ouais, mais je vais juste vous mettre un screen Amiga et un screen Windows pour vous pouvoir comparer, parce qu'ou sinon demain je suis encore là. ^^'
Amiga
Windows
Comment y jouer ?
La réédition de 2006 est LA version ultime, mais elle est assez difficile à trouver en téléchargement. 3 choix se présentent donc à vous : Retourner tout Internet pour trouver un torrent qui n'est pas down, acheter le jeu légalement sur le site officiel (Environ 10€) ou jouer à une des nombreuses versions originales. Notez que les versions originales ne sont pas non plus imbuvables, elles sont juste clairement inférieures à la réédition (Logique, en même temps). À vous de voir. Cela dit, les versions sont assez différentes entre elles, donc je vais vous guider un peu ...
La première version est la version Amiga : C'est du coup la moins élaborée et la moins complète, sauf d'un point de vue sonore où c'est l'une des plus réussies. Vient ensuite la version Atari ST : Le hardware étant très limité, c'est un peu pourri, donc oubliez-la. Notez que ces deux versions sont protégées du piratage par un système de l'époque, c'est-à-dire une "roue à code" complètement kitsch et tout bonnement insupportable. Du coup, ça rend l'utilisation des ces ROM un peu difficile (À supposer qu'on sache outrepasser ce système d'ailleurs, pour être honnête j'en sais rien ...). Après arrivent les versions MS-DOS et Macintosh : Elles sont de meilleure qualité (Avec une légère avance du Mac), il y a des ajouts mais ... il y a toujours cette roue à code. Exactement la même. FFFFFFUUUU-
Enfin arrivent les versions console (SNES et MD) ainsi que la version Apple II. Bonne nouvelle : Il n'y a plus cette salope de roue à code. Great. Cela dit, la version MegaDrive n'a pas droit aux ajouts de musiques effectués sur les deux autres ; On se tournera donc par instinct vers la version SNES ... dont les scènes "choquantes" ont été censurées à la demande expresse de Nintendo. Fuck you Nintendo, fuck you. Bon, y a toujours la version Apple II, mais si vous êtes victime de discriminations après avoir dit en public "Il faisait beau dehors mais j'ai préféré jouer sur émulateur Apple II", ne venez pas vous plaindre. Et pour finir, la version 3DO : C'est techniquement la meilleure, avec des décors assez élaborés et une nouvelle bande-son ... mais Éric Chahi a trouvé que les polygones ne se fondaient pas bien dans le nouvel environnement. Bon, après, c'est à vous de juger ...
Voilà pour le petit tour des versions ... Il y a encore d'autres détails qui diffèrent, mais rien d'exceptionnel (Au pire, vous pouvez mater les cinématiques manquantes sur YouTube). Perso, je vous conseille la version MegaDrive, dans la mesure où c'est la plus "polyvalente" de toutes, à la fois émulable sur NDS et PSP, et sans censure ou roue à code. Et puis, l'ambiance sonore reste tout à fait acceptable.
Voilà, en espérant vous avoir intéressé et donné envie d'essayer le jeu. Notez que c'est LE classique mais pas l'unique jeu du genre, donc y a pas mal d'autres trucs similaires à découvrir aussi.