I ONCE CARRIED IN MY WALLET A TEAR CRIED BY MY ONE TRUE LOVE. IT WAS KEPT CAREFULLY FOLDED WITHIN A PAPER HANDKERCHIEF CARRIED IN MY WALLET, ALWAYS CLOSE TO MY HEART. I CARRIED IT FOR MORE THAN 20 YEARS. ONE DAY AS I WALKED THROUGH THE STREETS A SNIPER HIDDEN ON A ROOF TOP SHOT ME. THE BULLET AIMED AT MY HEART PASSED CLEANLY THROUGH MY JACKET PIERCING MY WALLET AND THE HANDKERCHIEF CONTAINING THE CAREFULLY PRESERVED TEAR. I DIED INSTANTLY. A MOMENT, AN ETERNITY, A UNIVERSE... FORMED OF THE TEAR AND ITS CONTACT WITH MY BLOOD. TWO STRANDS OF DNA FOR THE LAST TIME FOLD INWARDS TOGETHER FALLING THROUGH SPACE TOWARDS THE PAVEMENT. WORDS, IMAGES, SOUNDS, PLAY, THROUGH THE MICRO SPIRALLING COLUMNS. CAPTURED HERE FOR THE FIRST TIME FOR YOUR GAMING PLEASURE |
"What the fuck?"
C'est bien la réaction la plus logique qu'on pourrait avoir en lisant ce synopsis, seule et unique bribe d'informations présente au verso de la boîte d'un étrange soft intitulé wordimagesoundplay, sorti sur PlayStation 2 en 2004. Cette obscurité n'est non seulement pas sortie du Japon mais elle y a aussi été publiée en quantité réduite, à savoir quelques milliers d'exemplaires seulement. Premier détail étonnant : C'est Sony Music Entertainment qui s'est chargé de son édition... Oui, Music, pas Computer ! Il faut dire que ce n'est pas vraiment un "jeu" dans le sens traditionnel du terme, mais plutôt une expérimentation multimédia qui relève d'une démarche similaire à celle d'un Electroplankton.
Si wordimagesoundplay n'a pas quitté l'archipel, c'est pourtant un studio britannique qui l'a développé : tomato. Ce n'est pas vraiment un développeur de jeu vidéo cela dit, mais plutôt un collectif artistique crée en 1991 et composé de dessinateurs, designers, musiciens et écrivains qui touchent un peu à tout dans le monde numérique, que ce soit à but d'expression artistique ou de création commerciale. Ainsi, si les membres du groupe participent à de nombreuses expositions et ont réalisé un nombre conséquent de courts-métrages, ils se sont aussi chargés de réaliser les pubs TV de marques comme Chevrolet et Guinness ou encore de créer les polices d'écriture utilisées dans le film Quantum of Solace. Le collectif est aussi intrinsèquement lié à un groupe de musique dont deux des membres en sont tout simplement les fondateurs : Underworld, qui fait principalement dans l'électronique progressif... et c'est d'ailleurs ceux-ci qui se sont occupé de la bande-son de wordimagesoundplay, en collaboration avec les artistes downtempo du groupe Johnny Conquest.
L'installation Tokyo<=>London au Ginza Art Space de Tokyo en 1997... et une pub pour Citroën réalisée dix ans plus tard.
Bref, revenons-en au "jeu". Le menu principal est particulièrement dépouillé, autant d'un point du visuel que des options disponibles. Vous avez le choix entre deux modes de jeu : Soit simplement commencer la partie, soit la laisser se dérouler toute seule devant vos yeux. Cette dernière possibilité est assez révélatrice sur le contenu du jeu : Il s'agit en effet d'un ensemble de longs mini-jeux à interactivité limitée, rien d'autre. Il y en a quatre différents en tout ; analysons-les donc d'un peu plus près.
Commençons par miracles & wonders. Vous y naviguez librement à travers un espace blanc éthéré baigné de musique ambient, au sein duquel flottent d’occasionnels cadres représentant des paysages. Ceux-ci fonctionnent comme des portes vers d'autres "zones", qui sont donc toutes connectées entre elles à travers ce réseau. Autour de ces portails lévitent des groupes de phrases, qui vous permettent de comprendre l'histoire qui se "déroule", ou plutôt à travers de laquelle vous voyagez. Ces textes sont par ailleurs lus par une narratrice lorsque vous vous en approchez. L'idée est d'explorer une narration, en naviguant à travers les différents endroits qui y sont mentionnés, un peu comme si ses différents chapitres ne se suivaient pas linéairement mais constituaient un "monde" qui se révèle peu à peu. Le nombre de "zones" étant relativement réduit, vous en ferez vite le tour, même s'il est facile de perdre son chemin vu que tout est très... blanc. |
Poursuivons avec latlong. La narration est toujours au centre ici aussi ; cela dit, il y a cette fois-ci deux histoires, et elles ne pas vraiment représentées visuellement si ce n'est peut-être par les image quasi-abstraites en noir & blanc qui défilent en fond. On se rapproche néanmoins de ce qu'on peut appeler un jeu : Les deux histoire défilent perpendiculairement et vous pouvez manipuler ces défilements avec les joysticks. Vous tomberez parfois sur des mots orangés, et cela signifie qu'ils sont communs au deux histoire ; à vous de les superposer pour faire le "lien" entre elles. Lorsque vous y parvenez, le fond se teinte de couleurs chaudes et la musique trip hop de fond s'emballe ; si vous y parvenez encore une fois, la situation revient à la normale. L'idée est de faire le parallèle entre deux narrations qui pourraient être ou ne pas être directement liées. C'est assez difficile de suivre les deux histoire en même temps, mais ça fait aussi partie du délire. |
Parlons ensuite de phonology. Le concept est largement différent, puisqu'il ne s'agit ici plus de narration mais bien de musique seule ; plus précisément, d'en créer. Vous êtes présenté avec un ensemble d'instruments... Enfin, d'êtres humains qui fonctionnent comme tel, et qui se trouvent d'ailleurs êtes des sprites digitalisés des membres de l'équipe de développement elle-même. Chaque personnage peut faire une série de bruits complètement différents qui varient en hauteur comme en longueur, et vous pouvez composer librement en manipulant ces persos individuellement tout en changeant la vue d'ensemble de l'espace de travail pour adapter son ergonomie à vos préférences. L'idée est d'offrir la possibilité de créer des musiques à partir de sons random souvent incongrus. C'est aussi la seule session de jeu que vous pouvez sauvegarder ; vous pouvez donc conserver vos compositions improvisée, et ce sur trois blocs. |
Et enfin, pour finir : sleeping eyes, le plus chelou des quatre. En premier lieu, vous avez affaire à un puzzle coulissant. Vous n'avez rien à résoudre, cependant ; le jeu le fait pour vous, et l'important ce sont les emplacements vides qui s'y révèlent. En les sélectionnant, vous êtes envoyé dans des sortes de mini-jeux à gameplay variable quoique toujours simpliste. Vous pouvez les quitter à tout moment, mais ceux-ci contiennent aussi souvent la possibilité de vous "téléporter" au suivant sans passer par le puzzle principal, et ce jusqu'à l'ending. Dans tous les cas, ce sont des expériences très... spéciales : Il y a par exemple "maze" qui vous mets dans le rôle d'un cheval devant échapper à des serpents dans un labyrinthe ultra-minimaliste, ou encore "penis" qui vous amène à secouez un tronc d'arbre évocateur. L'idée est de faire vivre au joueur un tas d'expériences différentes et déconcertantes, en modifiant à chaque fois la manière dont il peut réagir face à elles. |
Hé voilà, nous avons fait le tour de cet énigmatique wordimagesoundplay. Et pour être honnête... C'est loin d'être passionnant. En effet : miracles & wonders est beaucoup trop pauvre que pour vraiment captiver l'attention, latlong est intéressant mais devient assez vite répétitif, phonolgy est juste gonflant après dix minutes et sleeping eyes part trop souvent dans des délires sans pertinence que pour rattraper quoi que ce soit. Je ne sais pas trop ce que les gars de chez tomato ont voulu parvenir à faire avec ce "jeu", vraiment. Certes, il y a de l'idée, il faut bien l'avouer... mais c'est bien ça le problème : Il y a de l'idée, et pratiquement rien d'autre.
En fait, wordimagesoundplay est représentatif de la problématique liée à "l'art conceptuel". Ce qu'on appelle l'art conceptuel, c'est la forme d'expression artistique qui ne se base pas sur la beauté esthétique en soi mais bien sur le démarche créatrice et sur la signification qu'elle pourrait avoir. Deux exemples typiques : Le fameux Carré Blanc sur Fond Blanc de Malevich, et One and Three Chairs de Kosuth. Il est évident que l'intérêt de ces travaux n'est pas leur beauté visuelle en soi, volontairement négligée, mais bien l'idée derrière leur création ; leur sens quoi.
Un tableau presque entièrement blanc et une vieille chaise en bois avec une définition du dictionnaire. Seems legit.
Quel sens ? Ben ça, on aimerait bien le savoir. Le truc, c'est que ces œuvres sont complètement décontextualisées et isolées, ce qui fait qu'elles n'ont en général aucun sens réel ou potentiel, et encore moins d'impact véritable sur leur public. C'est sûr, c'est une "idée", mais qu'est-ce qu'on en fait ? Elle pourrait avoir une existence artistique si on lui donnait corps ou qu'elle était intégrée dans quelque chose, pourtant. C'est là que réside l'intérêt, pourtant. Si vous parlez à un game designer, il sera tout à fait d'accord que trouver des concepts à la fois efficaces ludiquement et riches en signification est ce qu'il y a de plus essentiel dans le métier. Conceptualiser, c'est l'art de donner un sens aux choses simplement à travers la façon dont elles sont représentées et dont elles surviennent ! Mais l'art conceptuel, c'est l'art de trouver des concepts... et de ne rien en faire.
Yume Nikki est un jeu conceptuel, dans le sens où l'archaïsme évident et la pauvreté assumée de son gameplay sont au centre de l'expérience, et parviennent effectivement à traduire un sentiment de solitude et d'abandon... mais c'est aussi une œuvre visuellement riche, avec un univers étrangement excitant à explorer. Son designer, Kikiyama, ne s'est effectivement pas limité à montrer son idée ; il en fait quelque chose de marquant en partant d'elle. Et c'est ainsi qu'on a vu fleurir une réflexion incroyable à partir d'un concept simpliste auquel avait été donné vie ! C'est pour ça que Yume Nikki est une réussite.
Le jeu des gars de tomato, lui, ne cherche pas ça. Il se contente d'exhiber ses concepts sans jamais vraiment en faire un véritable jeu ; tout ce dont il sera vraiment capable, c'est donc de nous divertir et nous surprendre... pendant une demi-heure, après quoi il sera oublié. C'est pour ça que wordimagesoundplay est un échec.